Après avoir fait exploser l’industrie musicale, tant au niveau du hardware avec l’iPod qu’au niveau du software avec iTunes, et après avoir bouleversé l’industrie du mobile avec l’iPhone, il ne fait plus aucun doute qu’Apple s’apprête à conquérir l’industrie cinématographique en 2008. La stratégie de la firme de Cupertino se précise, et le keynote de Steve Jobs présenté hier donne tous les éléments nécessaires pour comprendre comment va se dérouler cette nouvelle révolution.
L’héritage de l’iPod
Lorsque l’iPod est commercialisé en 2001, Apple ne tarde pas à se rendre compte que pour écraser la concurrence, il lui faudrait non seulement contrôler le marché du hardware, mais également la distribution de musique par voie digitale avec un software adéquat. Apple a senti le vent tourner: le téléchargement en ligne est plus populaire que jamais et la vente de CD est en chute libre. L’iTunes Store est donc lancé en 2003 aux USA et s’impose en quelques années comme le leader de la vente de musique en ligne. Vu le succès de l’iPod, il n’est pas difficile de convaincre les majors de l’industrie du disque de se lancer dans l’aventure pour fournir le catalogue de l’iTunes Store.
Après l’industrie musicale, il serait logique qu’Apple s’attaque à l’industrie cinématographique. Mais il est encore trop tôt, le principal obstacle étant la taille monstrueuse des fichiers vidéo. Le streaming pourrait être une solution, mais il faudrait pour cela que la majorité des foyers soient équipés de connexions haut débit permettant à cette technologie de se déployer à travers les Etats-Unis, et par extension dans le reste du monde.
Peu après le lancement de l’iPod, Steve Jobs rêve de produire un téléphone portable révolutionnaire, alliant les fonctions de téléphonie à celles d’internet. C’est l’aventure iPhone, qui est lancé en 2007 avec le succès qu’on connait (voir mon article à ce sujet). Apple s’appuye sur la stratégie gagnante de l’iPod pour assurer un succès fulgurant à son produit: un appareil élégant et performant qui utilise une version allegée de l’OS X, donnant accès à des applications telles qu’iTunes et Safari, avec la téléphonie en plus. Mais Apple est confrontée à une situation nouvelle car il lui faut un opérateur mobile qui n’intervient pas dans le processus de conception de l’iPhone. Après une aventure tumultueuse avec Motorola, l’alliance avec AT&T régle le problème et permet à Apple de révolutionner l’industrie du mobile, prouvant aux opérateurs de mobile qu’un téléphone portable n’est pas qu’un faire valoir pour des services ou des applications.
Les bases sont jetées pour la conquête de l’industrie cinématographique. L’iPhone et le nouvel iPod Touch arrivent à point nommé. Ces appareils, qui offrent l’accès à internet et donc à l’iTunes Store, vont permettre d’accroître la vente de musique digitale. Mais de nouvelles perspectives s’ouvrent pour Apple: le monde est enfin prêt pour la distribution digitale de films, et la pomme va en être un des acteurs principaux.
Apple TV, le cheval de Troie
Pour conquérir le marché audiovisuel, il faut entrer dans les salons et prendre possession des téléviseurs. C’est ce que Microsoft tente de faire depuis quelques mois avec la XBox 360 et son service XBox Live qui propose un catalogue de films limité. Apple a déjà une longueur d’avance, que ce soit au niveau de la diversité des supports sur lesquels on peut louer des films, au niveau des prix ou au niveau du nombre de studios engagés dans l’aventure. La firme Sony quant à elle mise tout sur le DVD Blu-Ray avec sa PlayStation 3 et n’a pas encore développé de plateforme de distribution digitale digne de ce nom.
En 2007, Apple fait un premier pas maladroit dans la bonne direction. Aux Etats-Unis, on peut louer quelques films et séries télévisées sur iTunes mais le choix est encore très limité. L’Apple TV est commercialisé fin mars et permet de synchroniser les médias disponibles sur un Mac avec une télévision. On peut maintenant regarder des films, des vidéos YouTube et écouter de la musique en étant confortablement assis devant la télévision. Mais l’accès à ces médias est limitée par la capacité de stockage des appareils. Les téléspectateurs sont de grands consommateurs et il faudrait leur donner accès à un catalogue illimité de films et de shows télévisés.
Début 2008, Steve Jobs annonce qu’il est désormais possible de louer des films sur iTunes avec le service iTunes Movie Rentals. Apple vient de s’associer avec les plus grands studios de cinéma pour offrir un catalogue monstrueux de films pour un prix raisonnable. Netflix le fait depuis longtemps, mais ne propose pas le hardware nécessaire pour regarder les films sur un téléviseur. Souvenez-vous de ce que j’ai évoqué plus haut: hardware et software vont de pair, et la distribution digitale du média est la norme à venir. Plus besoin d’un ordinateur pour utiliser Apple TV: on peut louer les films directement à partir de l’appareil connecté à un téléviseur. Simple, direct et efficace.
L’Apple TV est le cheval de Troie dont la firme de Cupertino avait besoin pour s’imposer dans l’industrie cinématographique. Et je ne parle que de la distribution, car Apple est déjà bien implantée dans le domaine de la post-production avec Final Cut Pro, application phare qui connaît un succès retentissant à Hollywood.
Vers le tout digital
D’autres produits présentés lors du keynote de Steve Jobs montrent à quel point Apple a confiance en l’avenir de la distribution numérique. Prenons le MacBook Air par exemple. Au delà des contraintes de taille, on peut voir l’absence de lecteur optique comme un abandon du support physique bientôt obsolète au profit de la distribution numérique des contenus.
Apple propose d’ores et déjà une alternative aux supports tels que le CD et le DVD: louer des films via iTunes, faire des backups avec Time Capsule, utiliser l’iPod pour écouter de la musique n’importe où, et Remote Disk, une nouvelle fonctionnalité qui permet d’installer des programmes via Wi-Fi à partir d’un CD ou d’un DVD chargé sur une autre machine.
Avec cette philosophie tournée vers l’avenir, Apple garde une longueur d’avance sur la concurrence. Je parlais de la conquête de l’industrie cinématographique, mais j’aurais du apposer le terme « fulgurante » au mot « conquête ». Car je pense que d’ici fin 2008, Apple sera déjà en terrain conquis.